Belleville

« Deux siècles d’artisanat de fabrication à Belleville »

Claudette Lafaye, article du Journal Belleville notre quartier 2016

Vue de Paris depuis le belvédère du parc de Belleville


L’histoire artisanale de Belleville se confond avec celle de son urbanisation. En 1817, Belleville est encore un bourg rural de 2800 habitants de la banlieue de Paris, peuplé de viticulteurs et de rentiers ; à la veille de l’annexion à Paris, en 1860, les vignes ont disparu, la population a été multipliée par vingt et les « gens de métier », comme on les appelle alors, y sont fort nombreux.


Des activités diversifiées où domine le travail des métaux
Dans l’Annuaire de Belleville de 1853, on ne dénombre pas moins de 273 types d’activités commerciales, industrielles et artisanales, ce qui classe Belleville devant Paris, La Villette ou Montmartre. A lui seul, le travail des métaux, en plein essor, représente 28 activités différentes ! Le travail du bois, du cuir et du textile est aussi présent tandis que d’autres métiers, plus rares, sont attestés, tel celui de mécaniciens en pianos et orgues. Souvent familiales, l’essentiel des fabriques emploient moins de dix ouvriers et se limitent le plus souvent à un ou deux. Disséminés sur l’ensemble du territoire, menuisiers, passementiers et serruriers s’établissent côte-à-côte, tandis que les marchands de vin se concentrent près des barrières de l’octroi. Les ateliers bellevillois se caractérisent par la qualité de leur production et un savoir-faire reconnu dû à de nombreuses années d’apprentissage du métier. Pour autant, les artisans qui s’y établissent sont fréquemment des immigrés venus de province.

La métallerie Grésillon (c) Antonia Machayekhi


Des artisans et ouvriers de métier qualifiés et… insurgés
L’urbanisation de Belleville, c’est aussi le peuple des artisans et ouvriers parisiens qui vient s’y loger, chassé de Paris par la hausse des loyers avant 1860, puis par la rénovation urbaine du baron Haussmann. Ces gens de métier, hautement qualifiés par des années de compagnonnage, sont des fers de lance de l’insurrection de 1848 puis de la commune de Paris, en 1871. Plus de 59% des insurgés bellevillois de la Commune exercent des professions liées à l’artisanat : métaux, divers arts, cuir, articles de Paris, textile, horlogerie et orfèvrerie, menuiserie, bois et meubles, serrurerie…


L’artisanat bellevillois paie un lourd tribut à la crise des années 1880-1887. . Il faut cependant attendre le début du 20ème siècle pour que l’artisanat retrouve le dynamisme du Second Empire.
Le travail des métaux, essentiellement masculin, se développe jusqu’à la Grande guerre et s’industrialise progressivement. La confection ainsi que l’artisanat du cuir et de la chaussure, à dominante féminine, se déplacent des arrondissements du centre de Paris vers Belleville dès la fin du XIXème siècle. Les fabriques font vivre tout un réseau d’artisans sous-traitants – piqueurs, monteurs, raccommodeurs – qui travaillent à domicile.


Des activités artisanales marquées par les vagues de migration
L’artisanat bellevillois est à la fois renouvelé et conforté par les vagues de migration. Au début des années 1920, 15% des créateurs de petites entreprises artisanales sont immigrés ; ils sont plus du tiers quinze ans plus tard. Les immigrés de Pologne et de Russie, les Grecs, les Arméniens investissent alors la confection et l’artisanat de la chaussure, activités qui seront à leur tour reprises, dans les années 1960-1970, par l’immigration chinoise à Belleville.

Restauration de livres anciens par Gabriel De Vienne (2)


Le prix du maintien de l’artisanat de fabrication à Belleville
Le maintien de l’artisanat à Belleville, comme dans d’autres quartiers de Paris, constitue aujourd’hui un défi. Travailler en ville, dans un atelier dédié à son activité, est devenu un parcours du combattant en raison de la cherté des baux commerciaux et de l’absence de politique publique dédiée. Les opérations de rénovation urbaine successives ont, au contraire, détruit la plus grande partie de ce tissu artisanal, « entrainant la fermeture des ateliers et leur déplacement vers d’autres quartiers ou, cas le plus fréquent, vers la banlieue », comme l’atteste déjà un article du volume 7 des Cahiers de l’IAURP, paru en 1967 ! Les ateliers encore présents sont fragilisés par la spéculation immobilière et les loyers pratiqués par les bailleurs de la ville de Paris demeurent trop élevés pour l’ébéniste, la relieuse, le métallier ou la céramiste. Pourtant ces métiers et ceux qui les exercent nous sont précieux : par leur présence, les artisans diversifient l’activité de nos quartiers, sécurisent nos rues et humanisent la ville.”


Atelier K (c) MôMathey